Gilbert Emont : « Le centre-ville restera par sa densité des services et son accessibilité le lieu idéal pour le bureau »
Interview
Gilbert Emont
Directeur de l’institut Palladio
Qu’a véritablement changé le Covid-19 dans notre rapport aux bureaux ?
C’était déjà le sens de l’histoire, mais on le voit de manière encore plus forte, le bureau est de moins en moins une cellule individuelle mais un ensemble d’espaces permettant le travail, la rencontre, l’événement, et l’identité de l’entreprise. Ce que l’on observe, et Palladio a travaillé en particulier sur ces thèmes du travail il y a 3 ans déjà, c’est une forme de dis-location du travail. Certains deviennent autoentrepreneurs, d’autres choisissent d’être prestataires… Cette rupture avec le lieu du travail unique montre que l’ensemble des espaces de bureau qui étaient nécessaires à l’entreprise est aujourd’hui disloqué, éparpillé. On travaille de chez soi, d’un siège, de tiers-lieux, de cafés, dans des pôles de mobilité… Le Covid-19 a provoqué une accélération considérable, il scelle le triomphe du numérique !
Comment les bureaux vont-ils justifier leur raison d’être ?
Prendre son ordinateur portable laissé dans son salon, le mettre dans son sac à dos, et faire deux heures de déplacement par jour pour l’apporter sur un bureau au 13e étage d’une tour, cela n’a aucun intérêt. Au contraire, rencontrer les autres, être dans la masse qui « pollinise », qui créé de l’intelligence collective, de l’innovation, échanger dans les lieux qui ne sont ni une tour minérale, ni votre salon, cela a du sens. On voit d’ailleurs bien le regain d’intérêt, depuis plusieurs années, pour des bureaux de centre-ville, ouverts sur leurs quartiers, qui permettent l’échange, la convivialité. Leur très bonne connectivité relationnelle fait leur attractivité.
Les métropoles ne sont donc pas en danger, comme on peut le lire parfois ?
Il est absurde de penser que l’on va d’un coup retourner à la vie rurale. Rien que logistiquement, c’est impossible. Nous sommes dans l’ère de l’urbain, « l’urbanocène ». Nous sommes dans un monde de réseau, de flux, nous avons besoin de pôles, de hubs, où se développent l’innovation, la recherche, rendue possible par la proximité entre les chercheurs et les entreprises. Ces hubs, ce sont les métropoles et pour être efficace, le monde en a besoin. La vraie question c’est la question de l’équilibre entre le centre et la périphérie, et la question de l’équilibre entre la mobilité et la densité. Le centre-ville restera par la densité des services qu’il procure et son accessibilité le lieu idéal pour le travail tertiaire.
Comment imaginez-vous le bureau de demain ?
On le voit, le futur des bureaux réside dans le partage : les entreprises conçoivent des immeubles partagés pour accueillir d’autres entreprises, des restaurants ouverts à l’extérieur, des pôles de services diversifiés… Pourquoi faire un immeuble de bureau qui se résume à « stocker » des employés, à l’ère du numérique et de la dématérialisation ? L’immobilier tertiaire doit être conçu pour accueillir des flux, faciliter les échanges. Avec la concurrence du domicile et des tiers-lieux, l’immeuble de bureau doit être le lieu de l’identité, de l’événementiel et du rassemblement. Être une interface avec la société dans laquelle il prend tout son sens.
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