Aude Grant : "Plus aucune entreprise ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la place qu’elle souhaite apporter à ses bureaux"

Interview

Aude Grant suit le Paris Workplace depuis 2014. En tant que Directeur Général Adjoint Asset Management et Investissement, elle a mené chez SFL plusieurs projets emblématiques comme le #Cloud (siège de Facebook et BlaBlaCar) et a été le témoin privilégié des évolutions de l’immobilier tertiaire parisien.

Aude Grant

Aude Grant
Directrice Générale Adjointe Asset management et Investissement
SFL

Mesurer l’évolution des habitudes des Franciliens avant, et après le Covid était un objectif très fort : quels résultats retenez-vous particulièrement ?

Ce qui est très intéressant, c’est que finalement, les chiffres montrent que le confinement n’a rien révolutionné, et que les aspirations des salariés pour davantage de flexibilité restent majoritaires. 87% des actifs interrogés par l’Ifop en février souhaitaient télétravailler « dans l’idéal » au moins une fois par semaine, ils étaient 86% dans le même cas en septembre 2020. Rien de neuf donc.

En revanche, l’expérience du confinement et du télétravail « forcé » a fait prendre conscience à beaucoup des avantages apportés par les bureaux. Au quotidien, je vois même un phénomène intéressant se dessiner : au début de l’année, les employés insistaient auprès de leurs managers pour pouvoir télétravailler plus, aujourd’hui, beaucoup d’entreprises franciliennes font face au casse-tête des nombreux employés souhaitant revenir travailler dans leur environnement de bureau habituel, alors même que les contraintes sanitaires sont plus fortes que jamais.

Certes, en télétravail, les Français ont été productifs, mais à quel prix et pour combien de temps ?

À quel risque s’exposent les entreprises qui en viendraient à « perdre le lien » avec leurs employés à distance ?

Le rôle central des bureaux dans la performance et l’image des entreprises n’est plus à démontrer. Nous l’avons vu lors des précédentes éditions du Paris Work Place, qui toutes ont mis en avant l’importance des sièges « totems » garants des valeurs de l’entreprise, l’importance de la mobilité pour les employés et le rôle crucial des relations entre salariés au cours d’une journée de travail.

D’un point de vue sanitaire, réduire l’accessibilité aux bureaux s’entend évidemment, mais une fois la crise passée, quel sera le prix à payer ? L’immobilier d’entreprise, c’est l’endroit où se créé le lien, qui nourrit l’engagement des salariés dont leur performance découle. Une entreprise aussi, doit retrouver ses racines.

L’immobilier, c’est cet endroit « incarné » qui permet de « faire le plein » d’échanges transversaux, de management, de leadership. Sans cette « recharge », une entreprise peut continuer à avancer sur sa lancée, mais à mesure que le temps passe, comme un train lancé à grande vitesse, elle finit par ralentir puis s’arrêter. Certes, en télétravail, les Français ont été productifs, mais à quel prix, et pour combien de temps ?

Que faire alors pour que l’immobilier de bureau soit une force pour les entreprises dans l’après Covid ?

Il ne s’agit pas de faire comme si rien n’avait changé, ni de penser que tout va rentrer dans l’ordre d’avant. D’un côté, on le voit bien, cette période oblige les entreprises à se poser la question de leur stratégie immobilière. C’est probablement même une opportunité unique dans l’histoire où la quasi-totalité des entreprises du pays vont penser en même temps leur organisation de travail, leur management, leur aménagement, leur positionnement géographique. Par exemple, le problème des transports a été fortement révélé par la situation sanitaire. Les trajets trop longs ne sont tout simplement plus supportables pour beaucoup d’employés. Dans le même temps, deux tiers des personnes interrogées nous disent aujourd’hui vouloir travailler majoritairement au bureau. La question de la localisation est donc essentielle : les précédentes éditions de notre étude Paris WorkPlace nous en avaient convaincus, c’est désormais une réalité bien intégrée.

Le bureau, c’est cet endroit « incarné » qui permet de « faire le plein » d’échanges transversaux. Sans cette « recharge », une entreprise peut continuer à avancer sur sa lancée, mais à mesure que le temps passe, comme un train lancé à grande vitesse, elle finit par ralentir puis s’arrêter.

Qu’est-ce que cela nous réserve pour le fameux « bureau de demain » ?

Cela fait près de dix ans que notre secteur parle des usages. Cette fois, on y est véritablement ! Encore une fois, les aspirations des salariés en termes d’espaces de travail n’ont pas été bouleversées par la période que nous venons de vivre. En revanche, les entreprises ne vont pas pouvoir les ignorer, si elles veulent renouer le lien avec des salariés qui parfois ne se sont pas rendus sur leur lieu de travail depuis plus de 6 mois ! Les employés que nous avons interrogés – et particulièrement les moins de 35 ans, qui dessinent les tendances de demain - nous le confirment et soulignent leur besoin d’espace, leur attirance pour des bureaux situés dans des quartiers centraux, bien desservis, des lieux qui favorisent les interactions, équipés de services… Avec la généralisation du télétravail partiel, certaines entreprises seront tentées de réduire leurs surfaces. Les arbitrages seront donc sensibles : la tentation de « sacrifier » des mètres carrés ne doit pas se faire au détriment du bien-être du salarié. La crise fera le tri, entre les entreprises qui auront compris ces enjeux et les autres.